mardi 5 juin 2018







mur#3




mur#3
acrylique, charge, papier, graphite, 40*40cm
2018
collection M.D.





au départ, il y a ça






une photographie d'une paroi taguée, repeinte, taguée à nouveau, repeinte, etc avec des couleurs "neutres", industrielles, des coulures, des couches multiples et peu de contraste.

Le procédé a déjà été utilisé pour mur#1 et mur#2 sur des toiles déjà peintes par quelqu'un d'autre, mais les aplats noirs sont réalisés à la bande cache, avec donc des bords très nets. Réalisés des aplats rapides avec des bords flous, comme le fait la brigade anti-tague, n'est pas encore satisfaisant, gratifiant visuellement pour moi . Malgré un attrait pour Mark Rothko et certains expressionnistes abstraits, je n'arrive pas à faire une "tache" mal délimitée et m'en satisfaire. Ce processus de réalisation de mur#3 en est encore une preuve . Dans les cas de ciel#1 et ciel#2, il y a bien taches et nuances mais comme il s'agit de "all-over", les bords sont nets parce qu'il s'agit des bords de la toile.

Pour ce mur#3, la base est une toile 40*40cm avec une impression décorative vintage, abandonnée dans la rue.
Le premier stade a consisté à recouvrir toute la toile d'un mélange d'acrylique industrielle blanche et d'une charge afin d'imiter la granulométrie d'une peinture épaisse comme en utilise la brigade anti-tague. La charge colore légèrement la peinture, le résultat évoque un badigeon épais à la chaux et sable fin avec la trace des gestes réalisés avec une vieille brosse.

3 chiffres 881, mais partiellement peints. Le texte entier aurait été défense d'afficher, loi du 29 juillet 1881. Les 40*40cm de la toile sont donc un extrait de mur.

Patine salie, usée, poncée, grattée tel un vieux mur. Pas de précaution particulière, pas de composition, il s'agit de faire sale, spontané. Résultat non satisfaisant, recouvert sur les 5/6 d'une couche d'acrylique blanche peu couvrante juste pour faire "propre" à moindre coût.

Collage d'une (non)affiche dans un angle. C'est un papier fin, gris uni probablement issu du recyclage comme on en trouve dans les boites à chaussures. Au passage, une petite lacération - voilà pour l'hommage à Jacques Villeglé et l'ironie par rapport à la loi.

Un tague - et quel tague - une insulte au marqueur type Posca. Inutile de vous révéler laquelle, votre histoire personnelle peut fournir celle qui vous aura touché un jour.
Le tague est recouvert par une épaisse couche d'acrylique+charge rose . Voyez un symbole dans la couleur si vous le voulez, pour moi c'est juste une contamination par des monochromes de Yves Klein et une lubbie : il y a 2 ans, un maître d'ouvrage m'a fait découvrir l'intérêt esthétique de roses mâts légèrement désaturés, salis, lavés de leur connotation niaise "rose pour les filles" . Toutefois ici, cette couleur à l'esprit léger, printanier annule voire ironise sur la violence de l'insulte qu'elle recouvre . Ainsi, une certaine "symbolique" apporte un supplément de sens. Les coulures, réalité concrète d'une peinture à la va-vite, pour malgré tout évoquer une certaine douleur, tristesse de voir, d'entendre sans cesse ces insultes.



pas satisfaisant, ni vide, ni plein, composition sans intérêt, stress de la tache pas assez mal délimitée, trop contrastée et les coulures sont fausses puisque l'aplat est réalisé avec une pâte épaisse qui ne risque pas de couler ...





Plus économique, rapide que la composition et recherche avec des papiers colorés bien que les images de rendus manquent de matérialité, de texture : la DAO. Divers essais avant d'aboutir à quelque chose qui marque une nouvelle pause.








La confrontation lignes nettes/lignes irrégulières m'agace sur les 2 premiers essais = retour à une forme géométrique fortement délimitée. Au passage, l'image bascule d'une imitation d'un mur, image figurative à une peinture mêlant figuration et abstraction géométrique . Bien que l'action de recouvrir l'insulte écrite par une couche opaque, épaisse soit symbolique, le résultat ne montre pas le processus : la "peinture" ne me permet pas de transmettre le récit, le sens de ces actions. Utiliser une peinture moins couvrante ? Ce serait idiot puisqu'il n'est pas question que l'insulte soit révélée.

Ca ne fait pas long feu, c'est "joli" (et encore, une fois réalisé ?) mais à quoi bon, le rectangle rose flotte dans une surface unie. Et concrètement, c'est une réserve dans la surface unie et non un aplat sur un fond uni ...

PAUSE

Retour à une ancienne réflexion d'étudiant en d'architecture : que se passe-t-il derrière un mur, quelle vie secrète peut s'y dérouler à l'abri ? Le mur est littéralement arasé et s'ouvre sur un ciel couvert - celui du jour où je le fais, les ciels bleus sont ennuyeux- dans lequel flotte un aplat. Comme je l'écris : ça flotte, ça manque de luminosité ou d'évidence, plaisir perceptif visuel sans plus.



PAUSE

Vient vite en mémoire, l'image des grands panneaux annonçant une nouvelle opération immobilière ou  ceux de chantier récapitulant la liste des intervenants . Ce sont de grands chevalets rudimentaires en charpente bois.

Tous les éléments déjà incorporés ont été représentés en géométral : projection sur un plan vertical d'éléments vus de face, tout simplement parce que le point de départ était un mur et non la représentation d'un mur dans un contexte spatial. La charpente bois est donc elle aussi aplatie, je n'en conserve d'ailleurs que les contours. Je termine par une nouvelle perturbation de la géométrie spatiale avec une barre noire que je suggère continue mais qui ne respecte pas l'espace 3D, comme si elle surgissait d'une autre dimension.










dernière phase d'exécution (voir au début de l'article) . Elle a lieu en deux temps : d'abord la réalisation du ciel gris . J'ai un moment considéré cette phase similaire à l'image DAO avant la dernière pause (cf plus haut) pour finalement me convaincre que la réalisation du ciel gris n'était pas suffisamment réaliste pour qu'on n'y voit autre chose qu'un aplat rose réservé dans une patouille nuancée de gris. Bref la matérialité du fond gris l'emporte sur ce qu'il est sensé représenté à savoir un ciel ... Ce qui me convainc de dessiner la charpente bois de manière irréaliste par simples contours, en supprimant les arètes évoquant le rapport spatial devant-derrière et d'incorporer cette barre noire discontinue et très contrastée.



au jeu des interprétations, vous pouvez voir dans l'émergence de ce panneau derrière un mur, la publicité d'une promesse d'une vie meilleure, masquant une autre réalité que vous ne pouvez percevoir parce qu'elle est doublement masquer : masquer par l'affiche et le discours publicitaire, masquer encore par le mur qui vous sépare de cette réalité. La bande noire, étrange et hors contexte est une invitation à s'attarder sur autre chose que cette promesse.