jeudi 25 octobre 2018





DéGRAPHéS


Quai Hoche en contrebas du boulevard Gaston Doumergue, Ile de Nantes, un mur de graffes "sauvages" a vu les couches de peinture (jusqu'à 5 mm d'épaisseur) s'accumuler sur plusieurs années voire décennies. Je ne suis pas un admirateur des graffes, surtout pas de ceux qui consistent en un blaze, une signature XXL, peu travaillée et à la seule gloriole d'un individu. A contrario, je suis amusé par cette gueguerre sans vainqueur entre les graffeurs officiels institutionnalisés par la mairie via le plan graffes mais considérés comme corrompus par les graffeurs "sauvages" qui viennent pourrir leurs fresques (changement de terminologie pour les rendre plus acceptables ?) à coup de trainées de peinture au pulvérisateur ou tag bâclé parce qu'il faut faire vite et ne pas se faire prendre, et enfin les services de la ville chargés d'effacer ou recouvrir les graffes anarchiques par des peintures "ton pierre" .

"ad nauseam" pour cet éternel recommencement.
Lors du réaménagement du quai,  par zone, les couches de peinture ont été arrachées sans être évacuées. J'en ai récolté des morceaux. [2020 07 29, depuis que les travaux sont terminés, je les arrache moi-même]

Poncer "ad nauseam" : à la main, sans s'interrompre, jusque la fatigue et l'écoeurement à cause de l'odeur qui s'en dégage. Chaque pièce (version 14.5cm de diamètre) est ainsi poncée pendant environ 2 heures. Au hasard des découvertes des couches, j'oriente le geste pour supprimer ou conserver des zones en l'état, tout simplement parce que l'agencement des couleurs apparu me plait.

J'ai hésité un moment entre laisser les plaques brutes aux formes irrégulières ou les rendre un peu plus précieuses. L'accumulation m'a convaincu de les présenter sous la forme unique d'un disque homogénéisant une série. 

Des extraits, des échantillons, des boites de Pétri. *
 
* [2020 07 29, assez vite quand même, j'ai dérogé à la règle du rond plein dans un carré . Bien que continuant la série rond dans une vitrine carrée, pour certaines pièces, la vitrine peut être rectangle, le rond est partiel, la forme est d'une autre géométrie et intègre d'autres matériaux, voire elle est très irrégulière et propice à la paréidolie . Le fond a aussi évolué. Pour les ad nauseam #1 à #6, c'est un passe-partout qui matérialise le rond, dans les ad nauseam #7 à #11, la plaque est ronde et le fond est en canson blanc, ensuite la technique se stabilise : je texturise légèrement le fond avec du gesso, des poussières de ponçage dans de la peinture blanche, pour obtenir un effet similaire aux murs de la ville taggués puis repeints grossièrement (technique que je reprendrai très certainement un jour pour poursuivre les monochromes TTBR) ]

Je reste assez amusé par cette opposition entre le graffe XXL signature pauvre à 2 ou 3 couleurs et ces échantillons XS contenant des dizaines de couleurs, opposition encore entre ce cadre de bois naturel et un "déchet" polluant.

Le cycle des recouvrements a été clos par un ponçage (destruction et révélation) et un enfermement. Tout est maintenant fixé dans une forme, un objet, un état. Ce n'est donc pas sans une dose d'ironie que je m'approprie le travail de graffeurs/tagueurs sauvages en particulier de ceux revendiquant la liberté de taguer n'importe où, souvent à seule fin de reconnaissance qui ne dépasse que rarement les initiés malgré le gigantisme et la visibilité, ironique donc en révélant son caractère vain puisqu'il y aura toujours un graffe, un tag, une peinture ton pierre pour recouvrir le précédent, ironique encore en les signant au dos " anonymes + saillé " .

Mais sans doute, je me trompe sur les motivations des graffeurs/tagueurs, du moins de ceux qui ont dépassé le stade de la signature narcissique sur les murs comme sur un cahier d'adolescent ou comme pour marquer un territoire animal . De plus, ils sont conscients du caractère temporaire de leur graffe, ils savent qu'il sera recouvert. Leur "musée" c'est la photographie, instagram, les réseaux sociaux. 
 
Les galeries en France s'intéressent depuis quelques années au streetart, sans doutes après la parution de recueils réalisés par des photographes ( Subway Art, Martha Cooper, 1984, devenu le Graal du genre) et l'engouement du public qui se passionne pour l'identification de Banksy. Cela produit  un effet sur certains artistes, une porosité s'opère entre amateurs doués et artistes diplômés, entre art sauvage et officiel. Des oeuvres "façon street art" apparaissent sur toile et objets dans les galeries - puisqu'il faut bien vendre quelque chose aux acheteurs et collectionneurs : un objet plus ou moins pérenne, déplaçable, échangeable.










"ad nauseam #1" 

plaque de couches de peinture aérosol, arrachée et retravaillée, diamètre 15cm
septembre 2018 










"ad nauseam #2"  dit l'automne
plaque de couches de peinture aérosol, arrachée et retravaillée, diamètre 15cm
septembre 2018 










"ad nauseam #3"  dit l'été
plaque de couches de peinture aérosol, arrachée et retravaillée, diamètre 15cm
septembre 2018 
collection privée M.P. & B.S.










"ad nauseam #4"  dit l'hiver
plaque de couches de peinture aérosol, arrachée et retravaillée, diamètre 15cm
septembre 2018 
collection privée M.B.











"ad nauseam #5"  dit le printemps
plaque de couches de peinture aérosol, arrachée et retravaillée, diamètre 15cm
septembre 2018 











"ad nauseam #6" 
plaque de couches de peinture aérosol, arrachée et retravaillée, diamètre 15cm
septembre 2018














mardi 3 juillet 2018






TTBR






TTBR#33 C+

acrylique sur toile, tasseau sous toile, cadre bois brut verni, 53*43cm
2017-2018



















 sans titre







sans titre
acrylique, carton, charge, graphite sur toile , 40*40cm
2018









la composition utilise deux fois la répartition classique 5/8 et 3/8.
la première fois la division est verticale, la seconde fois, une droite inclinée relie les points déduits de ce même rapport sur les lignes horizontales supérieures. la dernière ligne au graphite est à angle droit de cette droite. 
le centre de l'anneau est sur la droite inclinée mais placé en hauteur de manière totalement intuitive. 
le diamètre extérieur de l'anneau est contingent du diamètre maximum du découpe cercle que je possède, l'épaisseur de l'anneau est intuitive.
la découpe de l'anneau procède d'une interaction avec les lignes, interaction que je mets actuellement en place avec un autre projet utilisant des photographies de paysages ou de modèles "sportifs", mais aussi dans le tableau précédent mur#3 , où surgissent des formes géométriques perturbant la profondeur de la photographie ou suggérée dans le tableau .

avant de faire le dégradé rouge/rose, j'ai procédé à plusieurs essais numériques.






 
 








mardi 5 juin 2018







mur#3




mur#3
acrylique, charge, papier, graphite, 40*40cm
2018
collection M.D.





au départ, il y a ça






une photographie d'une paroi taguée, repeinte, taguée à nouveau, repeinte, etc avec des couleurs "neutres", industrielles, des coulures, des couches multiples et peu de contraste.

Le procédé a déjà été utilisé pour mur#1 et mur#2 sur des toiles déjà peintes par quelqu'un d'autre, mais les aplats noirs sont réalisés à la bande cache, avec donc des bords très nets. Réalisés des aplats rapides avec des bords flous, comme le fait la brigade anti-tague, n'est pas encore satisfaisant, gratifiant visuellement pour moi . Malgré un attrait pour Mark Rothko et certains expressionnistes abstraits, je n'arrive pas à faire une "tache" mal délimitée et m'en satisfaire. Ce processus de réalisation de mur#3 en est encore une preuve . Dans les cas de ciel#1 et ciel#2, il y a bien taches et nuances mais comme il s'agit de "all-over", les bords sont nets parce qu'il s'agit des bords de la toile.

Pour ce mur#3, la base est une toile 40*40cm avec une impression décorative vintage, abandonnée dans la rue.
Le premier stade a consisté à recouvrir toute la toile d'un mélange d'acrylique industrielle blanche et d'une charge afin d'imiter la granulométrie d'une peinture épaisse comme en utilise la brigade anti-tague. La charge colore légèrement la peinture, le résultat évoque un badigeon épais à la chaux et sable fin avec la trace des gestes réalisés avec une vieille brosse.

3 chiffres 881, mais partiellement peints. Le texte entier aurait été défense d'afficher, loi du 29 juillet 1881. Les 40*40cm de la toile sont donc un extrait de mur.

Patine salie, usée, poncée, grattée tel un vieux mur. Pas de précaution particulière, pas de composition, il s'agit de faire sale, spontané. Résultat non satisfaisant, recouvert sur les 5/6 d'une couche d'acrylique blanche peu couvrante juste pour faire "propre" à moindre coût.

Collage d'une (non)affiche dans un angle. C'est un papier fin, gris uni probablement issu du recyclage comme on en trouve dans les boites à chaussures. Au passage, une petite lacération - voilà pour l'hommage à Jacques Villeglé et l'ironie par rapport à la loi.

Un tague - et quel tague - une insulte au marqueur type Posca. Inutile de vous révéler laquelle, votre histoire personnelle peut fournir celle qui vous aura touché un jour.
Le tague est recouvert par une épaisse couche d'acrylique+charge rose . Voyez un symbole dans la couleur si vous le voulez, pour moi c'est juste une contamination par des monochromes de Yves Klein et une lubbie : il y a 2 ans, un maître d'ouvrage m'a fait découvrir l'intérêt esthétique de roses mâts légèrement désaturés, salis, lavés de leur connotation niaise "rose pour les filles" . Toutefois ici, cette couleur à l'esprit léger, printanier annule voire ironise sur la violence de l'insulte qu'elle recouvre . Ainsi, une certaine "symbolique" apporte un supplément de sens. Les coulures, réalité concrète d'une peinture à la va-vite, pour malgré tout évoquer une certaine douleur, tristesse de voir, d'entendre sans cesse ces insultes.



pas satisfaisant, ni vide, ni plein, composition sans intérêt, stress de la tache pas assez mal délimitée, trop contrastée et les coulures sont fausses puisque l'aplat est réalisé avec une pâte épaisse qui ne risque pas de couler ...





Plus économique, rapide que la composition et recherche avec des papiers colorés bien que les images de rendus manquent de matérialité, de texture : la DAO. Divers essais avant d'aboutir à quelque chose qui marque une nouvelle pause.








La confrontation lignes nettes/lignes irrégulières m'agace sur les 2 premiers essais = retour à une forme géométrique fortement délimitée. Au passage, l'image bascule d'une imitation d'un mur, image figurative à une peinture mêlant figuration et abstraction géométrique . Bien que l'action de recouvrir l'insulte écrite par une couche opaque, épaisse soit symbolique, le résultat ne montre pas le processus : la "peinture" ne me permet pas de transmettre le récit, le sens de ces actions. Utiliser une peinture moins couvrante ? Ce serait idiot puisqu'il n'est pas question que l'insulte soit révélée.

Ca ne fait pas long feu, c'est "joli" (et encore, une fois réalisé ?) mais à quoi bon, le rectangle rose flotte dans une surface unie. Et concrètement, c'est une réserve dans la surface unie et non un aplat sur un fond uni ...

PAUSE

Retour à une ancienne réflexion d'étudiant en d'architecture : que se passe-t-il derrière un mur, quelle vie secrète peut s'y dérouler à l'abri ? Le mur est littéralement arasé et s'ouvre sur un ciel couvert - celui du jour où je le fais, les ciels bleus sont ennuyeux- dans lequel flotte un aplat. Comme je l'écris : ça flotte, ça manque de luminosité ou d'évidence, plaisir perceptif visuel sans plus.



PAUSE

Vient vite en mémoire, l'image des grands panneaux annonçant une nouvelle opération immobilière ou  ceux de chantier récapitulant la liste des intervenants . Ce sont de grands chevalets rudimentaires en charpente bois.

Tous les éléments déjà incorporés ont été représentés en géométral : projection sur un plan vertical d'éléments vus de face, tout simplement parce que le point de départ était un mur et non la représentation d'un mur dans un contexte spatial. La charpente bois est donc elle aussi aplatie, je n'en conserve d'ailleurs que les contours. Je termine par une nouvelle perturbation de la géométrie spatiale avec une barre noire que je suggère continue mais qui ne respecte pas l'espace 3D, comme si elle surgissait d'une autre dimension.










dernière phase d'exécution (voir au début de l'article) . Elle a lieu en deux temps : d'abord la réalisation du ciel gris . J'ai un moment considéré cette phase similaire à l'image DAO avant la dernière pause (cf plus haut) pour finalement me convaincre que la réalisation du ciel gris n'était pas suffisamment réaliste pour qu'on n'y voit autre chose qu'un aplat rose réservé dans une patouille nuancée de gris. Bref la matérialité du fond gris l'emporte sur ce qu'il est sensé représenté à savoir un ciel ... Ce qui me convainc de dessiner la charpente bois de manière irréaliste par simples contours, en supprimant les arètes évoquant le rapport spatial devant-derrière et d'incorporer cette barre noire discontinue et très contrastée.



au jeu des interprétations, vous pouvez voir dans l'émergence de ce panneau derrière un mur, la publicité d'une promesse d'une vie meilleure, masquant une autre réalité que vous ne pouvez percevoir parce qu'elle est doublement masquer : masquer par l'affiche et le discours publicitaire, masquer encore par le mur qui vous sépare de cette réalité. La bande noire, étrange et hors contexte est une invitation à s'attarder sur autre chose que cette promesse.